lundi 30 mars 2009

Déclaration

On était tellement jeune, on savait pas trop c'était quoi, aimer. On faisait pas de compromis à 15 ans. On aimait et puis c'est tout. Enfin, moi, je t'aimais. Je crois pas que je vais pouvoir aimer comme ça à nouveau une autre fois. J'ai appris à aimer après toi, et puis tu sais, chaque jour, j'apprends encore. Je t'aimais tellement que ça me faisait mal jusque sous la peau, je t'aimais tellement que j'avais envie de m'arracher de moi, je t'aimais mal je t'aimais trop je t'aime pas comme il faut, mais je t'ai aimé, c'est probablement la seule chose dont je sois certaine après tout ce temps.
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Maintenant je suis toujours insécure, j'ai peur qu'on m'abandonne, j'ai de la difficulté à me laisser aller, à simplement profiter de l'instant sans craindre que ça ne se termine demain. Quand je m'endors à ses côtés, je panique toujours un peu vaguement dans mon sommeil, est-ce qu'il va encore être là demain matin ?
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Bin oui, il est toujours là. Même quand je me réveille en sursaut la nuit, même quand je rêve qu'il part et que ça a l'air tellement vrai que ça me bouleverse. Il est toujours là. Il ne m'a jamais déçu. Il me prend dans ses bras quand je pleure, il accote ma tête contre sa poitrine et il me laisse mouilller de mascaras ses t-shirts.
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Quand je regarde notre histoire, je me demande ce que tu aurais fais si je t'avais demandé de me prendre dans tes bras. Probablement rien. Juste hausser les épaules, ou citer Fight Club. Viril. Hum.
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Pis si j'avais été mince, hein ? Mince, délicate et féminine. Ah, même pas délicate, à peine féminine. Juste mince. Ça aurait tout changé, hein ? Ouais. Ouais, ça aurait tout changé. Une baleine bleue avec des lunettes rouges c'est moins hot qu'une belle poupée souriante.
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Bin coudon, hein. Je pensais à ça pendant mon cours. On s'est aimé comme on se quitte, tout simplement sans penser à demain, à demain qui vient toujours un peu trop vite, aux adieux qui quelquefois se passent un peu trop bien.
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À la revoyure !

jeudi 26 mars 2009

Dans la rue

Il a fait faire bip bip à sa voiture pendant qu'elle ouvrait péniblement la porte de leur appartement, les bras chargés de sac. Elle avait un gros bonnet mauve et une jupe jusqu'aux genoux, leur porte était verte, verte un peu moins pure que les pommes vertes, elle souriait jusqu'aux oreilles et je me suis dis qu'ils devaient être heureux.
*
- Montréal, 25 mars en soirée, dans le quartier gai.

mardi 24 mars 2009

Les tours de riz

7, sur l’écran – « Un petit autel où on étend mes cendres de terre et mes os de soie. Des fleurs de papier mâché et de plastique recyclé dans des vases de terre mouillée. Un éventail de mes visages et de mes cheveux, morceaux d’il y a longtemps, d’il était une fois, il existait une moi vivante. De cette manière lourde et tachée par les suicides des grands cygnes, j’ai mis ma main dans ma bouche jusqu’à ce que mes doigts grattent mon estomac. Et elles pleurent ces jours où elles ne m’ont pas aimé assez, elles pleurent ces jours d’involucres et d’anémie de noir, quand je ne savais pas que j’allais trancher mon nez et découper mes bras mous, m’ensemencer dans la mort de charbon.

1 et 2 entrent en scène. 1 porte un voile de mariée et son téléphone, qu’elle dépose près de l’autel. 2 porte sa casquette aux couleurs criardes, elle joue un peu de son xylophone et s’en départi près de l’autel, elle aussi.

1 et 2, psalmodiant – « Gloire à toi et à ton nom
Puisses-tu lancer des craies de cire
Dans les carrés de marelle
Puisses-tu vivre encore un peu
Dans nos parchemins d’étoiles
Puisses-tu mourir un peu plus longtemps
Que le grondement de nos gorges éteintes.

2 – « Amen. »
1 – « Amen. »

Elles se signent à l’envers. 1 dépose un baiser sur l’urne, pendant que 2 lorgne du côté du paravent d’images.

1 – « Je ne sais pas où sont les autres pivoines. Penses-tu qu’elles vont venir ? »
2 – « J’avoine en ce sens. Je l’espoire. »

Petit silence.

2 – « Penses-tu que ça fait mal, mourir ? »
1 – « Dis pas ça. On doit dire arrêter de vivre, on dit pu ça mourir maintenant. Ça fait trop mal aux cœurs de ceux qui meurent moins vite. »

Silence, durant lequel 1 va se recueillir de nouveau. Puis…

2 – « Ok debord. Penses-tu que ça fait mal, arrêter de vivre ? »
1 – « Je sais pas. » Elle rejoint 2 qui s’est assise. « Penses-tu qu’elle a senti qu’on l’enflammait ? »
2 – « Je sais pas. » Elle regarde nerveusement autour d’elle, comme si elle commettait un geste interdit. « Tu penses-tu qu’elle était vraiment…pas en vie quand ils l’ont trouvé ? Pis quand ils l’ont encendré ? »
1 – « Penses-tu qu’elle le sait, qu’elle vit moins qu’avant? »
2 – « Qu’elle est mmm…mortifiée ? »

3 entre en scène. Elle traîne une grosse croix qu’elle adosse contre l’autel. Elle porte un sac-à-dos en peluche.

3 – « Moi je pense qu’on le sait quand on arrête de vivre parce qu’après, on peut manger les nuages. »
2 – « Penses-tu que ça goûte bon ? Qu’on guimauve dans nos bouches, que ça glisse dans nous pis que ça nous enveloppe, t’sé, comme un vrai nuage? »
1 – « Viens t’asseoir, on va se rappeler les jours doucereux pis les jours heureux, viens on va se serrer comme des hiboux pis on va croire qu’on va pas arrêter jamais de vivre, nous. Mais avant, prie. C’est juste ça qu’elle nous a demandé avant d’avaler la lune. »
3 – « Je prie déjà, j’ai ma croix pis ça, ça vaut tous les boutons d’or de ma voix ou de mon foie. »

Entre 4. Elle porte des grosses lunettes de couleur et un petit bibelot de chat.

4 – « Moi je pense pas qu’elle bouffe des nuages, moi je pense qu’elle dévore les marées de rêves perdus, les rêves déchus qui se ramassent là-bas quand on arrête d’y croire. »

Les autres sont heureuses de la voir. Sur l’écran, 7 suit attentivement la conversation et le déroulement de ses funérailles.

2 – « Peut-être que si on monte sur la croix pis qu’on s’accroche aux stalagmites d’air, peut-être qu’on va la ramener avec nous ! »
4 – « On pourra pas, moi je pense pas qu’elle se balance sur de la ouate, moi quand je pense à elle, j’entends de la musique de carrousel, pis je nous vois pas attraper un poney de cirque au lasso. »

Petit silence durant lesquels les trois autres réfléchissent un peu. Elles avaient commencé à redresser la croix qu’elles laissent alors tomber sur le sol. 7 sursaute. Elles retournent s’asseoir, accablées.

1 – « J’aimerais ça moins vivre, des fois. J’aimerais ça m’étendre dans l’encre pis attendre qu’on m’y écrive. J’aimerais ça être comme la brume ou comme le sable. J’évapore ou je condense. Plus tard, j’aimerais ça être un phénomène météorologique. »

Entre 5. Elle a une couronne de princesse sur la tête. Elle emmène comme offrande à 7 un flamant rose en plastique, qu’elle place près de la croix.

5 – « Moi je pense que vous avez rien compris. Vous vous bouchez le nez pour pas sentir que la fin de vie, ça a une odeur de lilas pis de chair qui cuit au soleil. »
3 – « Pourtant je respire de tous mes orifices, pis ça sent juste la terre mouillée, la glaise du vase qui coule. »
2 – « Ça sent peut-être les confettis pis les grains de riz. Y’a des gens qu’on a marié ici hier. »

4 – « Des inconscient tu veux dire ! Des gens courages, des gens heureux, mais ça reste des gens, c’est rien, c’est des plaies de lit pis de la croûte de vie. »
5 – « T’as raison, faut aimer gros comme c’est pas possible, gros comme deux galaxies pis une couple d’univers aussi pour accepter de se marier, t’sé. »
1 – « Comment ça ? Qu’est-ce tu dis-là? Je veux me marier, moi, pis vite à part de ça. J’attendrais pas d’être en ride pour pu ressentir la douceur d’une peau d’homme contre la mienne ! »

Stupéfaction. On trouve peut-être que c’est odieux de parler de son mariage à l’enterrement d’une des nôtres.

1 – « Moi, j’aurai aimé ça qu’elle descende l’allée avec moi, quand je vais m’anneauter. J’aurai aimé ça qu’elle pleure des grains de riz de jasmin avec vous. »

Petit silence de malaise.

5 – « Y fait beau, aujourd’hui, hein, pour des funestes railles. Moi j’aimerais ça qu’on m’assouplisse un jour comme aujourd’hui, dehors même l’herbe sent meilleur. »
1 – « Vous serez pas là, hein ? Vous allez me planter là comme une vieille pancarte de maison à vendre pis vous allez me regardez vieillir pis blanchir pis disparaître ? »
5 – « T’aimerais-tu ça porter dans tes bras ton mari épuisé d’avoir des cors aux pieds, ton mari épuisé d’avoir trop rêvé, ton vieux bonhomme rêche pis malade à coups de mirages pis d’espoirs pourris ? Avec des veines saillantes pis du poil de nombril à force de trop se regarder moisir ? »
4 – « T’as hâte, toi, de cimenter ta vie à celle d’un homme cafard, qui va penser juste avec son bout venimeux, qui va penser juste à te culbuler pis à te transpercer jusqu’à ce que tu l’implores de salir tes petites cuisses vierges? »
3 – « Tu veux ramasser des pelures d’oreilles, des bouts de hanches, des amoncellements de crachats jusqu’à ce que tu te noies dans la peau grise? »
2 – « En veux-tu encore, des larmes de grain de riz ? Des étourderies ? Des tours de riz ?»
7 – « C’T’ASSEZ ! ARRÊTEZ ! »

Les 5 se figent pendant que 6 entre doucement. Elle porte un foulard de laine et un arc-en-ciel en carton, qu’elle dépose devant l’autel, devant la croix et le flamant. On sent que les autres la respectent et s’en veulent de s’être emportées de la sorte.

6 – « Ça va faire les autoroutes inarticulées. Regardez-vous, r’gardez dans quel gouffre on se saupoudre. Moi je suis déjà morte un peu je crois, pis je vous jure sur sa mémoire que j’vous laisserai pas vous déchirer comme ça. Faites-pas des faces d’enterrements. On est venue ici pour s’amuser, vous l’savez ça. C’tait important pour elle. »

5 – « Si c’tait aussi important que tu le dis, moi aussi je vais décider de ma fin de vie drette-là, maintenant. Sur le parvis de la cathédrale, c’est là que je vais venir jouir de la vie qui s’embourbera hors de moi quand ce sera le moment choisi. Pis je vais vous donner rendez-vous ici, pour vous voir pleurer ma petite personne choyée et pelleteuse de nuages qui peut enfin s’exaucer. »
7, soudain – « Vous pouvez ben vous nourrir de vos suppositions mais pas de ma vie oubliée. Si j’avais choisi, si j’avais pu, vous pensez vraiment que j’aurais choisi votre existence terne pis fade pis inodore ? Des lambeaux de peaux se détachent de mes bras, et fréquemment, je fouille en moi, dans les trous de couteaux de celui qui a choisi pour moi que ma vie s’étiolerait ainsi. Chaque matin, j’aurore vos souvenirs et je croque les grumeaux de pluie, ça me gèle le cerveau. »

Les autres se sont recueillies une dernière fois près de l’urne. Une musique commence, c’est une petite mélodie instrumentale.

1 – « J’aime pas ça, mordre dans mes joues pour m’empêcher de pleurer, pis boire le bruit de ma tendresse éparpillée. Je pense pas que je vais me marier, t’sé. Je disais ça pour rire. »
2 – « J’hais ça, des funérailles comme ça, de la noirceur à grosse pelletée. J’aurai voulu valser. Pis manger des raisins avec des craquelins de sons et d’amitiés. »
3 – « Moi je prie pas, elle en a pas besoin pour s’habituer à son corps d’oxygène. C’est pour moi qu’on devrait prier un peu des fois, quand j’ai la tête dans un étau pis le cœur à côté de moi. »
4 – « J’aime ça, respirer les sanglots échappés, les sanglots qui vont nulle part. Les soupirs réchauffés. Les crampes abdominales. J’aime ça. »
5 – « J’aurai aimé ça qu’on m’entaille l’âme à sa place. J’aurai aimé ça qu’y’aille des lampions sur l’autel. Ça aurait fait plus officiel, t’sé. Moins mort. »

Petit silence.

5 – « Pensez-vous qu’il y a de la tapisserie, au paradis ? »
6 – « Oui. »
7 – « Bon, on commence-tu la cérémonie, là? »

Les 6 autres personnages prennent place sur les chaises, respectueusement, puis la lumière s’éteint.

FIN DE LA SCÈNE.

jeudi 19 mars 2009

Ceci n'est pas un fait vécu (à titre informatif seulement)

- Je le sais pas, comment ça va.

J'avais la tête entre mon ventre et le reste de l'univers et non, je savais pas comment ça allait, là, maintenant. J'avais la tête entre un berceau et un diplôme, entre une balayeuse de vagin pour enlever les bébés et mes jambes écartées pour laisser passer le bébé vivant. Ça prend de la place, un bébé vivant. Ça demande pas mal plus d'attention que le spectre du bébé aspiré par la machine bruyante. Quoi que je le sais pas.
*
- Comment ça, tu sais pas ? T'es-tu décidée ?
*
Oui, je suis décidée depuis le début. Je veux juste pas que tu partes. Parce que tu vas t'en aller. Toi non plus, des bébés vivants, ça te dit rien. P't'être que si j'accouchais d'un bébé en plastique, p't'être que là, tu resterais. Un bébé comme humain mais qui crie pas, qui chie pas, un bébé qui boit pas de lait dans les seins de ta blonde, un bébé qui te réveille pas, qui empêche pas d'aller à l'université ni d'avoir des rêves. Un bébé qui se peut pas.
*
- Je le sais pas, je le sais pu. Je l'ai jamais su.
*
- Dans le fond de toi, tu dois savoir un peu.
*
Plus que ça. Je le sais totalement. Je le veux pas, ce maudit bébé-là, mais j'ai pas le choix. Je peux pas m'imaginer sans lui, maintenant. Il bouge pas, il grouille même pas un petit peu pour que je sache qu'il existe vraiment ailleurs que sur le bout de plastique devenue rose, mais je sais pas, je sais pu. Je peux pas me l'arracher de moi. Pis j'ai peur. J'ai peur qu'il aspire tout, mes reins, mon foie, mon pancréas même si je sais pas pourquoi on peut pas vivre sans ça, j'ai peur que le bébé s'accroche à mon âme pis qu'a parte avec lui. Je le sais pas. Je le sais pu.
*
- Bin, oui pis non.
*
Demande-moi en mariage. Je vais te dire oui, oui avant que je devienne encore plus grosse que je le suis, je vais te dire oui pis on va se marier à la belle église au bord de l'eau, comme si c'était un vrai mariage d'amour, comme si y'avait pas de bébé menace entre nous deux. On va s'aimer comme si on allait faire un bébé après, au pire on le dit pas que je suis enceinte, au pire on fait comme si c'était une surprise, après. Donne-moi un bail à signer, donne-moi quatre murs pis dis-moi que ça va être notre nid d'amour, pis je vais te croire, je vais te croire les yeux fermés, je vais mettre des posters de chats pis de lapins pis je vais te cuisiner du pâté chinois avec des petits épis de maïs miniatures comme te fait ta mère pis tu vas oublier qu'on s'est perdus entre notre insouciance pis un bébé vivant pas en plastique.
*
- Ça reste ton choix mais tu sais c'que j'en pense...
*
Bin oui, je le sais. Je le sais que toi, des bébés, t'en veux pas avant trente ans. Que l'avortement, c'est simple pis c'est facile pis c'est tout, y'a pas de quoi en faire des cauchemars. Que ta meilleure amie s'est fait aspirer des bébés deux trois fois. Mais je veux pas, moi. Je veux pas qu'on fouille dans moi pour m'enlever ce bébé vivant-là. C'est pas rien que moi, c'est parce que c'est comme si toi, t'étais en moi. Y'a cinquante pourcent de toi là-dedans, oublie pas. Cinquante pourcent du bébé vivant qui vient de toi. Moi ça me trouble de tuer ça, encore plus que de tuer ma partie. Moi je suis déjà morte, je pense, le jour où j'ai pissé dans le petit gobelet jaune de ma salle de bain, le criss de gobelet où je mettais nos brosses à dent, avant.
*
- Bin oui, je le sais. C'est juste que je sais pas ce que moi j'en pense.
*
Ça serait tellement facile, respirer un petit peu de gaz, ouvrir les jambes et oublier. Mais je peux pas. Je peux juste pas. J'aimerais mieux m'arracher les ongles des doigts pis des orteils un par un avant de faire ça. Juste de penser au microscopique bébé vivant qui mijote dans mon ventre. Ça doit être parce que j'en ai vu, quand j'étais plus jeune, des bébé presque vivants parce qu'ils étaient morts, ils flottaient dans le formol, moi j'avais l'impression qu'ils flottaient dans leur liquide amiotique - bin oui, je sais ça, que ça flotte là-dedans, j'ai déjà commencé timidement à lire des articles sur les bébés et sur les mamans de ces bébés vivants-là. Je pense que ça m'a traumatisé, les petits bébés morts. Même s'ils étaient trop petits pour le savoir qu'ils allaient pas vivre tant que ça, je suis sûre que ces bébés-là étaient aimés. Y'a quelqu'un quelque part qui les aimaient avant même de savoir la fin de leur histoire. Je l'aime déjà, mon bébé qui va crier, chier pis m'empêcher de dormir. Je veux savoir la fin de son histoire. Même si je connais déjà la fin de la nôtre.
*
- Tu vas le garder, hein ?
*
- Ouais.

À la maison de nos premiers pas

Ça sentait le bois un peu moisi mais encore dur, le bois qui en a vu passer, des amoureux devant ses yeux silencieux.

Ça sentait toujours le pain chaud et croustillant, ça sentait les biscuits à la mélasse et un peu les raisins secs, quand je faisais cuire du pain amérindien et que je le brûlais. Oui, c'est vrai, ça sentait la fumée et le feu de paille, ça sentait le crépitement des bûches et le tisonnier.

Quand on fermait les volets juste avant de quitter, on se précipitait pour s'embrasser quelques secondes avant que tout le monde envahisse notre secret. On s'aimait doucement, costumés et suants, mais on s'aimait pour toutes les minutes où on avait eu envie de s'aimer depuis le début de notre journée.

Les planchers craquaient et au grenier, il y avait de la poussière et des brindilles et des grosses araignées, des fourches et des morceaux de métal non-identifiés, des meules de foins et une grande trappe où j'ai si souvent failli tomber. J'avais peur d'y aller toute seule et en haut des escaliers, en regardant le fleuve plus bas et le moulin au loin, on s'enlaçait en vitesse avant de redescendre vers la réalité.

J'entends encore mes petits pieds sur le pont de bois et mes bonds dans l'allée de petites roches. Quand il pleuvait c'était tellement glissant que tu me tenais par le bras devant tout le monde pour m'aider à traverser, même quand on avait passé une mauvaise journée, enfermés avec eux et incapables de s'aimer.
*
Il y avait des couleuves et des petites salamandres, des coccinelles et des papillons, des moustiques - beaucoup de moustiques le soir - et des crapauds, et il y avait nous au beau milieu de la faune. Parfois je me demandais si nous n'en faisions pas partie.
*
Quand je m'étendais par terre près des grands arbres, quand je t'attendais sans faire de bruit quand je ne devais pas être là, avec un livre sous le nez et mes lunettes fumées qui pendouillaient de mon visage, j'admirais la grandeur de la maison blanche et rouge. J'admirais le sol sur lequel je me posais, le sol qui avait accueilli jadis tous les personnages que j'incarnais, le sol qui bon gré malgré, faisaient pousser des grands arbres qui se balançaient tranquillement dans le vent, le vent qui avait fait tourner le moulin et avancer la vie.
*
Puis tu arrivais, avec ton sourire en coin et ton chandail frippé, et j'avais plus que jamais envie de t'embrasser, en l'honneur de la vie, et de tous les amoureux qui s'aimaient depuis des siècles devant la maison de nos premiers pas.
Y'a comme un goût d'inconnu.

Je marchais sur le sentier de terre battue à tes côtés et j'ai pris ta main, instinctivement. J'entendais les petits insectes près de nous, j'entendais même le son des vagues plus bas qui venaient se briser sur la grève. J'entendais les grands peupliers qui battaient des branches dans le vent. Il faisait chaud. C'était une belle nuit pour un premier baiser parce qu'en ouvrant un petit peu les yeux, je pouvais voir les étoiles entre toi et le ciel.

mardi 17 mars 2009

Ça m'est pas vraiment arrivé - je tiens à le préciser !

J'ai rongé mes ongles un par un, tranquillement, en te regardant pleurer. J'ai croqué à pleine bouche mes beaux ongles longs, lentement, mais de toute façon, tu n'avais pas la force de m'arrêter. Tu disais que ce n'était pas si grave, après tout. Que c'était un égarement, une erreur. Tu t'excusais et moi, je m'arrachais la gorge des lambeaux de mes doigts.

J'ai toussoté un peu, je regardais, je sais pas, je ne te regardais pas en tous cas. Je regardais mes ongles saignés et mes doigts tremblés. J'ai pensé à mes pas dans l'escalier et à tes pas dans la chambre et à son mouvement de bassin sur mon lit que je connaissais si bien pour m'y être mue aussi. J'ai pensé que dans les films, je t'aurais giflé pour ça, et j'aurai planté dans son coeur à elle des poignards de mes ongles et j'aurais craché dans ses plaies pour que ça s'infecte.
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Mais je n'ai rien dis. Je rongeais mes ongles en attendant que tu en finisses. J'ai mastiqué la peau autour aussi, pour être certaine de n'avoir plus rien à ronger ensuite, au cas où tu reviendrais me supplier. J'ai brûlé l'édredon et tu as pleuré encore plus, tu l'aimais, que tu disais. Moi je l'aimais avant qu'elle jouisse sur lui.
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Je t'ai dis tu aurais pu avoir la décence d'aller faire ça ailleurs que dans ma chambre moi maintenant je ne peux plus vraiment dormir je ne peux penser qu'à elle en toi et qu'à toi qui va et vient dans elle comme dans ces vagins de plastiques sensés simuler l'acte ces vagins-là que j'ai déjà offert à un ami gai à son anniversaire. J'ai brûlé l'édredon et les draps, les draps qui se mariaient si bien avec la couleur des murs. Avoir pu, j'aurai brûlé la couleur et les odeurs et ma vue et tes yeux et tout.
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Avoir su, ce soir-là, je l'aurais laissé me prendre contre un mur j'aurais mis son doigt dans mon vagin de chair et j'aurai joui, moi aussi. J'aurai joui dans l'escalier et sur la table de cuisine et même sur la table de poker et partout ailleurs encore, je crois même que je t'aurais invité à te joindre à nous pour compléter le portrait parfait de la déchéance de ce qui fut un jour nous.
.
Alors j'ai rongé mes ongles et j'ai attendu que tu en finisses, photographiant mentalement l'image de ton pénis que je ne reverrais jamais ou , en tous cas, pas dans ces circonstances-là. Peut-être déboulant les escaliers, vide de toi mais pas de moi, en tous cas, peut-être, je sais pas, je sais plus grand chose,moi.

dimanche 8 mars 2009

Si j'étais l'art (3)

La jeune fille juive.
Arff, je sais pas, je sais plus trop.
Mais ça donne ça.

« Quand ils entrent dans notre huis clos obligé, qu’ils tirent les cheveux et la vie de nos amis, quand ils forcent nos barricades aux quatre coins de notre intimité, quand même l’espoir se suicide, que nous reste-il ? Quand les mitraillettes dans les champs enterrent le dernier souffle de nos proches, à quoi se raccrocher ? Quand les cadavres des nôtres dansent au bout des cordes, quand ceux qui n’en peuvent plus en finissent avant la grande ligne de tire, quand les souvenirs ne suffisent plus, que nous reste-il ? Que nous reste-il pour vivre ? Que nos chansons, que nos voix à l’unisson. Que nos chansons que nous ne terminerons peut-être jamais, emportés par ces hommes qui ne nous briseront jamais assez, assez pour que l’on oublie le chant de nos disparus. »

Si j'étais l'art (2)

Tiens, le paragraphe du petit garçon.

C'est pas très beau ni très léché, mais ça sera ça.

'Me reste la jeune fille juive et le soldat avant de passer à un autre travail. On lâche pas!

« Quand Papa et Maman sont partis, moi ils m’ont gardé, au début je savais pas pourquoi moi et pas eux, ça me faisait comme un trou dans le ventre, juste là. Le gros loup a pris mon vieux cahier et il l’a feuilleté et moi j’avais l’impression qu’il prenait son couteau et qu’il fouillait en moi, ça aurait fait moins mal je pense. Ils m’ont donné un autre crayon et ils ont ris, et ils ont pris ma main pour que je dessine encore, et encore. Quand je dessine, ils me font moins mal. Moi, je ne dessinerai plus jamais de maison rouge avec Maman et Papa qui me tiennent par la main. Moi, je dessine les croix rouges des gros méchants loups qui me chassent jusque dans mes rêves, qui n’existent plus. »

Si j'étais l'art (1)

Ehlala...
Gros travail scolaire ce soir, gros travail de création.

Nous avons esquissé une scène sur l'art au temps de la guerre, comment l'art sauvait des vies et des juifs dans les camps de concentration. En gros, l'art parle de lui-même, un enfant parle de l'art, une jeune juive aussi, et le soldat lui-même s'adresse à la foule.

Excusez-moi mais non, je ne crois pas être capable de créer tout ça vite comme ça. Ça cogite et ça tourne dans ma tête depuis très - trop - longtemps, et non, ce soir, ça ne sort pas.

Bon, je ne le rendrai pas demain, je crois.

Aïe,aïe,aïe...

L’art, sur la chanson « Ballade No.1 » de Chopin, s’adresse au public :

« 39-45. On empile au loin les corps des juifs, des handicapés, des gitans, des laisser pour compte qui n’ont pas eu la chance d’être blonds aux yeux bleus ou à tout le moins bruns aux yeux bruns, peu importe, ces hommes qui n’ont jamais eu de chance. Race supérieure, rat, chiens, idées de grandeur, la folie meurtrière d’un seul homme nous conduit dans un gouffre de peaux et de douleurs, la guerre dans toute son atrocité.

Ma voix fredonne faiblement les soubresauts de ma vie qui s’étiole. Je me fais bouée et ancre, on s’accroche à moi pour oublier les bombes et les toits qui tombent. On m’arrache, on m’enseveli, mais on résiste aux assauts en mon nom, en répétant inlassablement mes chansons, mon nom et mes couleurs au milieu de la grisaille permanente. »

dimanche 1 mars 2009

Marguerite

J'ai roulé toute la nuit sans vraiment regarder derrière ni devant, juste en te regardant toi, qui dormait sur le siège, beau comme un ange, beau comme les marguerites qui commençaient à pousser en bordure de l'autoroute. J'ai pensé au tournesol qui pousseraient eux aussi quand l'été serait là et j'ai pensé, je pense toujours trop, qu'il n'en aurait sûrement pas de tournesols là-bas.

Tu ne pouvais pas conduire la nuit parce que tu te laissais bercer par la voix des étoiles et la chaleur de la nuit et tu t'endormais comme si tu étais couché dans nos draps blancs. Alors je buvais mon grand café tellement sucré que j'ignorais s'il contenait ou pas de la caféine et je conduisais en regardant ta bouche à moitié ouverte et ton souffle à moitié ronflant et je t'aimais, je t'aimais comme si c'était la première fois que je te voyais quand pourtant je cotoyais ta peau et tes rêves et tes envies depuis déjà si longtemps. Comme si c'était hier. J'ai eu envie de te réveiller pour que tu vois les marguerites et pour te parler des tournesols et même des pissenlits et te rappeler le beau parc plein de peupliers et de grands arbres dont j'ignorais le nom le parc où nous nous étions rencontrés mais je me suis empêchée de le faire, toi quand tu dors de toute façon tu n'écoutes pas mes réflexions spontanées.

J'ai eu envie aussi de me glisser en toi, de m'asseoir sur toi et de te dire allez, faisons l'amour sous les étoiles et les nuages et les marguerites, faisons l'amour tout de suite, avant même de toucher les draps douteux de notre lit de motel qui ne remplaceront jamais tes draps blancs dans lesquels nous nous sommes réfugiés si souvent. Faisons l'amour pour oublier un peu que nous nous sauvons de nous-mêmes, que nous partons à l'aventure sans trop savoir où elle se trouve. Mais toi tu dormais et je n'osais pas te réveiller pour te parler de fleurs et de baisers, alors j'ai continué à penser beaucoup trop en silence et toi tu as souri dans ton sommeil.