J'avais la tête entre mon ventre et le reste de l'univers et non, je savais pas comment ça allait, là, maintenant. J'avais la tête entre un berceau et un diplôme, entre une balayeuse de vagin pour enlever les bébés et mes jambes écartées pour laisser passer le bébé vivant. Ça prend de la place, un bébé vivant. Ça demande pas mal plus d'attention que le spectre du bébé aspiré par la machine bruyante. Quoi que je le sais pas.
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- Comment ça, tu sais pas ? T'es-tu décidée ?
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Oui, je suis décidée depuis le début. Je veux juste pas que tu partes. Parce que tu vas t'en aller. Toi non plus, des bébés vivants, ça te dit rien. P't'être que si j'accouchais d'un bébé en plastique, p't'être que là, tu resterais. Un bébé comme humain mais qui crie pas, qui chie pas, un bébé qui boit pas de lait dans les seins de ta blonde, un bébé qui te réveille pas, qui empêche pas d'aller à l'université ni d'avoir des rêves. Un bébé qui se peut pas.
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- Je le sais pas, je le sais pu. Je l'ai jamais su.
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- Dans le fond de toi, tu dois savoir un peu.
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Plus que ça. Je le sais totalement. Je le veux pas, ce maudit bébé-là, mais j'ai pas le choix. Je peux pas m'imaginer sans lui, maintenant. Il bouge pas, il grouille même pas un petit peu pour que je sache qu'il existe vraiment ailleurs que sur le bout de plastique devenue rose, mais je sais pas, je sais pu. Je peux pas me l'arracher de moi. Pis j'ai peur. J'ai peur qu'il aspire tout, mes reins, mon foie, mon pancréas même si je sais pas pourquoi on peut pas vivre sans ça, j'ai peur que le bébé s'accroche à mon âme pis qu'a parte avec lui. Je le sais pas. Je le sais pu.
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- Bin, oui pis non.
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Demande-moi en mariage. Je vais te dire oui, oui avant que je devienne encore plus grosse que je le suis, je vais te dire oui pis on va se marier à la belle église au bord de l'eau, comme si c'était un vrai mariage d'amour, comme si y'avait pas de bébé menace entre nous deux. On va s'aimer comme si on allait faire un bébé après, au pire on le dit pas que je suis enceinte, au pire on fait comme si c'était une surprise, après. Donne-moi un bail à signer, donne-moi quatre murs pis dis-moi que ça va être notre nid d'amour, pis je vais te croire, je vais te croire les yeux fermés, je vais mettre des posters de chats pis de lapins pis je vais te cuisiner du pâté chinois avec des petits épis de maïs miniatures comme te fait ta mère pis tu vas oublier qu'on s'est perdus entre notre insouciance pis un bébé vivant pas en plastique.
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- Ça reste ton choix mais tu sais c'que j'en pense...
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Bin oui, je le sais. Je le sais que toi, des bébés, t'en veux pas avant trente ans. Que l'avortement, c'est simple pis c'est facile pis c'est tout, y'a pas de quoi en faire des cauchemars. Que ta meilleure amie s'est fait aspirer des bébés deux trois fois. Mais je veux pas, moi. Je veux pas qu'on fouille dans moi pour m'enlever ce bébé vivant-là. C'est pas rien que moi, c'est parce que c'est comme si toi, t'étais en moi. Y'a cinquante pourcent de toi là-dedans, oublie pas. Cinquante pourcent du bébé vivant qui vient de toi. Moi ça me trouble de tuer ça, encore plus que de tuer ma partie. Moi je suis déjà morte, je pense, le jour où j'ai pissé dans le petit gobelet jaune de ma salle de bain, le criss de gobelet où je mettais nos brosses à dent, avant.
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- Bin oui, je le sais. C'est juste que je sais pas ce que moi j'en pense.
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Ça serait tellement facile, respirer un petit peu de gaz, ouvrir les jambes et oublier. Mais je peux pas. Je peux juste pas. J'aimerais mieux m'arracher les ongles des doigts pis des orteils un par un avant de faire ça. Juste de penser au microscopique bébé vivant qui mijote dans mon ventre. Ça doit être parce que j'en ai vu, quand j'étais plus jeune, des bébé presque vivants parce qu'ils étaient morts, ils flottaient dans le formol, moi j'avais l'impression qu'ils flottaient dans leur liquide amiotique - bin oui, je sais ça, que ça flotte là-dedans, j'ai déjà commencé timidement à lire des articles sur les bébés et sur les mamans de ces bébés vivants-là. Je pense que ça m'a traumatisé, les petits bébés morts. Même s'ils étaient trop petits pour le savoir qu'ils allaient pas vivre tant que ça, je suis sûre que ces bébés-là étaient aimés. Y'a quelqu'un quelque part qui les aimaient avant même de savoir la fin de leur histoire. Je l'aime déjà, mon bébé qui va crier, chier pis m'empêcher de dormir. Je veux savoir la fin de son histoire. Même si je connais déjà la fin de la nôtre.
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- Tu vas le garder, hein ?
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- Ouais.
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