dimanche 15 février 2009

Si je n'étais pas moi.

J'ai beaucoup de difficulté à écrire quelque chose qui n'émane pas directement de moi. À quelques exceptions près, tous les je de mes textes depuis aussi longtemps que je sais écrire me représentent d'une façon ou d'une autre. Depuis que je suis heureuse et comblée, il m'est de plus en plus ardu d'écrire au je une souffrance qui ne m'est pas propre. J'essaie et souvent, je ne réussis pas, ce qui donne des résultats encore plus intéressants que s'ils étaient parfaits, lèchés et proustien.


" Un jour je suis sortie du ventre de ma mère pour tomber sous le joug de mon père. Ce n’était pas sa faute, me disait ma grande sœur, il ne comprenait pas les chaînes qu’il m’imposait, qu’elle répétait, il n’a jamais saisi qu’il s’enroulait autour de moi et qu’à force de serrer, il allait tuer sa proie. Ma grande sœur sur qui il n’a jamais levé la main mais plutôt dresser le gland. Au final, je préfère les ecchymoses sur la peau plutôt que les bleus de l’âme.

Mes parents croyaient que je louchais, et j’avais d’immenses lunettes correctrices qui empiraient ma réelle situation, puisque je faisais ciller mes yeux volontairement, pour éviter de voir ma maison, ma famille, mes enfers. Mon père a cessé un peu de m’étriver quand je les portais, elles étaient dispendieuses et ça, mon père le respectait, pour le bien de son propre portefeuille, merci.

Je n’ai pas de souvenirs heureux de sapin de Noël illuminé et d’ange de carton à sa cime. Je n’ai pas d’images de moi souriante à travers les emballages déchirés et les poupées qui pleuvaient à profusion, je n’ai que de vagues rappels de soirs tristes où mon père buvait son whisky en mangeant des œufs fourrés au bacon et des sandwichs qui me rendaient malades, où ma sœur tirait sur sa jupe trop courte pour éviter que le père reluque ses cuisses, et où ma mère préférait fermer les yeux, pour éviter de voir sa maison, sa famille, son enfer.

Il y a des enfants qui sont bien en vacances, qui chignent au retour à l’école et qui racontent leur camping à Old Orchard Beach, de l’air de ceux qui n’ont jamais connus les genoux éraflés et le fond de teint précoce pour camoufler les marques de la veille. Il y a de ces enfants qui étaient mes amis, avant. Avant que je décide de ne plus les amener à la maison, parce que même en leur présence, ma famille n’arrivait plus à être la famille idéale et stérilisée qu’elle s’inventait devant les étrangers.

Les autres, ce grand mot qui effrayait ma mère. Qu’est-ce que les autres vont en penser ? Moi j’aurai voulu que ces autres prennent les bâtons de golf de mon père pour le battre avec. Moi j’aurai voulu que ces autres m’emportent dans un carrosse couleur blanc et vieille citrouille, qu’une bonne fée me berce et me promette de changer mon père en petit souris, et ma mère en chat. La nature ferait le reste.

Je ne le savais pas mais instinctivement, j’ai toujours su que je voulais tuer mon père. Chaque fois qu’il m’étouffait avec le bol de soupe où il me plongeait la tête, c’était là, ce sentiment de haine, de vengeance, de mort. "

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